TGV : « Revenir à la raison » (Marc Fressoz) un article de France Soir

Marc Fressoz, auteur de « Faillite à grande vitesse » sur les 30 ans du TGV, répond aux questions de France Soir.

Marc Fressoz considère que le TGV dessert beaucoup trop de gares en France SIPA/Baltel

FRANCE-SOIR Comment expliquez-vous que la France ait autant misé sur le TGV. D’où vient l’erreur ?
MARC FRESSOZ Le culte de la grande vitesse fait que rien n’était trop beau ni trop cher pour gagner un quart d’heure ou une demi-heure entre deux métropoles. Aujourd’hui, ce train magique dessert 230 gares, c’est beaucoup trop. Exemple : mettre Arras à quatre heures de TGV de Nantes est peut-être pratique pour certains, mais le coût pour la collectivité de cette liaison est prohibitif.

F.-S. Ces lignes coûtent cher, car elles ne drainent pas suffisamment de voyageurs, et au bout du compte ce sont les contribuables qui compensent avec leurs impôts. Cela concerne beaucoup de lignes ?
M. F. Plus de 30 % des dessertes TGV ne sont pas rentables. Effectivement, en multipliant de telles lignes, on perd de l’argent, beaucoup d’argent. David Azema, le grand stratège de Guillaume Pepy à la SNCF, a tiré le signal d’alarme, en expliquant le cercle vicieux : « Plus on développe le réseau TGV, plus sa rentabilité décroît. » Et Barbara Dalibard, la nouvelle « Mme TGV » à la SNCF, a confirmé : « La marge opérationnelle des TGV est tombée en 2010, pour la première fois depuis trente et un ans, sous la barre des 19 %. Cela ne permet pas d’investir dans de nouveaux trains. »

F.-S. Alors, quelle est la solution ?
M. F. C’est simple, le TGV ne doit pas passer par Limoges ou par Le Havre, mais par Milan, Barcelone et Munich. N’en déplaise à certains députés maires ou sénateurs maires totalement irresponsables… Il faut avant tout ouvrir le TGV à l’Europe et à son immense réservoir de voyageurs.

F.-S. Pour faire circuler ses TGV, la SNCF doit acquitter un péage à Réseau ferré de France, qui gère les lignes. Un système compliqué et cher…
M. F. Oui. La principale cause du déficit, ce sont ces péages. Ils augmentent sans cesse, car Réseau ferré de France, qui gère les 30.000 kilomètres de voies ferrées de l’Hexagone, doit rembourser avec ces péages la dette abyssale créée par la construction de nouvelles lignes de TGV.

F.-S. C’est un système sans fin !
M. F. Oui. La dette n’arrête pas de grandir… RFF paye chaque année aux banques 1,5 milliard d’euros d’intérêts financiers de cette dette. Pour rééquilibrer les comptes, il faudrait que le prix du péage passe de 30 à 50 % du billet payé par chaque voyageur. Le politique s’y oppose avec juste raison.

F.-S. On dit que faire circuler nos trains coûte plus cher que chez nos voisins ?
M. F. En effet. Ainsi, sur un tiers de ses trajets, le TGV emprunte le réseau classique à la vitesse maximale de 160 km/h. Mais les péages qu’il acquitte ne couvrent pas les coûts d’entretien de ces voies, car la maintenance des voies est 30 % plus cher en France que chez nos voisins, en raison du statut très protégé des cheminots dans l’Hexagone.

F.-S. Quelle serait la solution pour arriver à des coûts acceptables ?
M. F. Le modèle allemand fait rêver les dirigeants de la SNCF. Soumise à la concurrence depuis 1994, la compagnie ferroviaire publique allemande Deutsche Bahn est n° 1 dans le fret européen et n° 2 pour le trafic voyageurs. Son ratio d’endettement est de 110 % contre… 530 % pour le couple SNCF-RFF !

F.-S. Comment sont-ils parvenus à de tels résultats ?
M. F. Contrairement à la France, l’Allemagne n’a pas construit un important réseau de lignes à grande vitesse, mais elle a donné la priorité à l’amélioration du réseau existant. Ils ont dépensé moins. Le TGV allemand roule à 280 km/h maximum, mais beaucoup de trains rapides roulent entre 200 et 250 km/h sur des voies classiques. Tous ces trains dégagent des marges bénéficiaires beaucoup plus importantes que le TGV français. Les responsables politiques ont les chemins de fer qu’ils méritent et vice versa…

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